ASILE (DROIT D’)
aperçu historique
consécration par le droit international
asile diplomatique
asile maritime et internement
droit d’asile en France
Pratique et institution qu’il n’est pas possible de dater tant il remonte aux temps les plus anciens, l’asile s’entend d’un lieu ou territoire permettant de trouver protection et d’échapper à des poursuites. Le droit d’asile est ainsi à la fois, du point de vue de son bénéficiaire, celui de rechercher et trouver refuge, de n’y être plus poursuivi, mais aussi, du point de vue de celui qui l’accorde, le droit d’accueillir les personnes recherchées et de ne les point livrer. Si son origine et son histoire se confondent avec celles de l’humanité, le droit d’asile recouvre aujourd’hui des concepts juridiques précis.
APERÇU HISTORIQUE
Dans la Bible l’asile apparaît tout d’abord comme un tempérament à la loi du talion: les six cités de refuge établies par Moïse permettent à l’auteur d’un crime, notamment s’il est involontaire, d’échapper aux poursuites, au moins temporairement, ainsi qu’aux poursuivants de réfléchir, en apaisant leur colère, aux circonstances de l’offense (p. ex. Ex. 21 13). Raguse par exemple, devenue Dubrovnik, maintiendra jusqu’au XVIIéme siècle cette tradition de cité d’asile. Le livre d’Isaïe donne lui une version très moderne de l’institution, qui serait devoir d’accueillir et protéger ceux qui ont fuit la persécution et la dévastation régnant dans le royaume voisin de Moab (Isaïe 16 3-5). Ce dans le cadre d’une obligation plus générale du peuple juif, issu de l’exil, d’accueil de l’étranger (p. ex. Ex. 12 49; Lév. 19 33).
L’antiquité, et spécialement la Grèce, connait
aussi l’asile, l’organise et l’institutionnalise. Dans chaque cité
les tombeaux de héros, les temples, les statues des dieux et des
rois, sanctuaires inviolables, faisaient bénéficier de cette
inviolabilité ceux qui s’y réfugiaient: esclaves, criminels,
débiteurs insolvables, délinquants politiques...
Rome allait respecter les traditions grecques en la matière.
Elle avait d’ailleurs dès sa naissance consacré le droit
d’asile. La légende de sa fondation par Romulus autour du
temple consacré au dieu Asylaeus (l’Asylum, qui donnera précisément
asile ) veut en effet que ce monument, et le bois qui l’entourait, soient
lieux inviolables. De même les temples de Diane, déesse latine
indigène, seront bien souvent des lieux privilégiés
où trouveront protection notamment les esclaves, depuis l’époque
de la fondation jusqu’au premier siècle avant JC. En 42 le droit
d’asile serait expressément conféré au temple de Jules
César, et celui qui touchait la statue de l’empereur devenait inviolable.
Dans la logique de ses origines le développement de l’institution
au Moyen Âge interviendra dans un cadre purement religieux, et l’on
parlera d’asile religieux. Les églises, leurs dépendances
vont hériter du droit d’asile du temple païen, mais le fondement
n’en sera plus seulement la crainte de sanction divine (encore que la violation
en soit punie d’excommunication), mis aussi l’idée de repentir et
de grâce de la personne poursuivie. Le morcellement du pouvoir, du
droit de rendre la justice dans la société féodale,
leur arbitraire, expliquent le succès d’une institution se voulant
universelle, et les résistances du pouvoir temporel. Si l’autorité
ecclésiastique ne saurait livrer le réfugié, rien
ne lui interdit en revanche de négocier une sanction plus légère,
un pardon fût-ce partiel. L’asile religieux, garanti par le droit
canonique depuis le Code Théodosien (IX 44 & 45) et le Concile
de TOLÈDE de 638, fera peu à peu l’objet de nombreuses restrictions,
et de plus en plus d’infractions, ou de personnes, en seront exclues, notamment
par Gratien en 1140, l’ordonnance de VILLERS-COTTERÊTS de 1539, les
constitutions des papes Grégoire XIV (1591) Benoît XIII (1725),
Clément XIII (1758) . Il restait cependant inscrit dans le Code
de 1917, abrogé par celui entré en vigueur en 1983.
Les divers abus, la charge qu’il représente pour l’église,
et surtout l’apparition d’États au sens moderne du terme, exerçant
leur souveraineté sur un territoire délimité, expliquent
le déclin de l’asile religieux; du droit d’essence divine, et donc
inviolable, il apparaîtra bientôt une simple concession, révocable,
du pouvoir civil; Il n’en restera pratiquement plus rien au début
du XVIIéme siècle. La notion n’en demeure pas moins vivace:
C’est Quasimodo frappant à la porte de Notre Dame de PARIS, ou les
"sans-papiers" des églises St AMBROISE puis St BERNARD en 1996.
Dès le XVIIéme siècle le droit d’asile sera évoqué
par les juristes non religieux; et si l’école du droit naturel,
avec GROTIUS, est favorable à la collaboration des États
dans la poursuite du crime, elle n’en affirme pas moins leur devoir d’accorder
protection aux proscrits pour des raisons politiques ou religieuses. Ce
n’est donc plus désormais une enclave limitée sur un territoire
donné qui sera lieu de refuge, mais le territoire national lui-même:
voici l’asile territorial. Il est dès lors logique qu’à la
révolution française le nouveau souverain, le peuple, se
réserve d’accorder l’asile. Ainsi l’article 120 de la Constitution
montagnarde du 24/06/1793 dispose-t-il:
" le peuple français donne asile aux étrangers
bannis de leur patrie pour la cause de la liberté, et le refuse
aux tyrans "
La dimension politique du droit d’asile se trouve ainsi affirmée;
le XIX siècle en Europe, l’éveil des nationalités,
les révoltes et répressions qui s’ensuivent la consolideront.
La France accueillera largement les meneurs et intellectuels proscrits
italiens, polonais... Le refus de l’extradition pour des motifs politiques
devient alors un principe consacré par la plupart des États
européens, la Turquie...
Mais le caractère essentiellement individuel de l’asile ne pouvait perdurer. La période contemporaine connaîtra des mouvements massifs de population qui dépasseront par leur ampleur ceux qui avaient pu se produire par le passé, tels l’expulsion des juifs d’Espagne à la fin du XVème siècle, ou l’exil des protestants à la révocation de l’Édit de Nantes. Ainsi dès le début de ce siècle les Arméniens chassés de Turquie, les Russes blancs après la révolution bolchévique, puis les Espagnols durant la guerre civile, les juifs européens, plus près de nous les exodes successifs et dramatiques des populations d’Afrique. Des instruments juridiques nouveaux seront progressivement mis en place. Dès 1921 la Société Des Nations (SDN) créait, sous l’égide du Dr NANSEN qui se verrait attribuer en 1922 le prix Nobel de la Paix, le premier haut commissariat aux réfugiés; il allait se consacrer spécialement aux réfugiés russes et arméniens. La première Convention de Genève de 1933 consacre et améliore leur statut, et prévoit la délivrance d’un document d’identité et de voyage dit "passeport Nansen".
CONSÉCRATION ACTUELLE PAR LE DROIT INTERNATIONAL
La nouvelle et actuelle Convention de Genève du 25/07/51, prévue
à l’origine pour les événements d’Europe antérieurs
au 01/01/51, ne connait plus, depuis le protocole du 31/01/67, de
limitation dans le temps ou l’espace.110 États y ont adhéré.
Le réfugié y est limitativement défini comme la
personne qui
"craignant avec raison d’être persécutée
du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance
à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve
hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait
de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays;
"
Les États signataires ont la responsabilité d’organiser
l’admission au statut de réfugié des personnes correspondant
à cette définition, et de délivrer tous documents
officiels, administratifs, passeport, d’état-civil (art. 25, 27
& 28 Convention). Il leur est interdit de pénaliser l’entrée
et le séjour irrégulier du réfugié qui se présente
sans délai aux autorités (art. 31), et surtout de le refouler,
l’expulser vers un territoire où il serait menacé (art. 32
& 33). Des clauses d’exclusion sont par ailleurs prévues,
et le statut pourra être refusé s’il existe des raisons sérieuses
de penser que le demandeur s’est lui-même rendu responsable de crimes
graves, ou agissements contraires aux droits de l’homme (art. 1F).
Le nouveau Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) des Nations
Unies a pour tâche de vérifier l’application des accords internationaux
consacrés aux réfugiés et d’assister ceux-ci, mais
il est loin d’en avoir les moyens matériels. Il évaluait
leur nombre à 18 millions en 1992, et entre 23 à 28
millions en 1996, ce dernier chiffre comprenant les personnes dites déplacées,
c’est à dire qui n’ont pas formellement été admises
au statut de réfugié (et peuvent simplement ne l’avoir pas
sollicité). Il faut voir dans cette nouvelle terminologie une reconnaissance
de la dimension du problème, et du caractère restrictif de
la définition de la Convention, qui reste frappée au sceau
d’un individualisme qui n’est plus d’actualité. On doit encore souligner
à quel point le partage du fardeau est illusoire: ce sont les pays
les plus pauvres et qui en ont le moins la capacité, voisins des
territoires d’exode, qui supportent en quasi-totalité la charge
d’accueillir, ou subir, les déplacements.
D’autres instruments juridiques internationaux existent: l’article 14
de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10/12/48
prévoit que "devant la persécution, toute personne a
le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en
d’autres pays ". La Convention de l’OUA du 10/09/69 pour l’Afrique, continent
ou la problème des déplacements forcés de population
se pose de façon dramatique, donne une définition plus large
du réfugié, qui englobe
"toute personne qui, du fait d’une agression, d’une occupation
extérieure, d’une domination étrangère ou d'événements
troublant gravement l’ordre public dans une partie ou la totalité
de son pays d’origine, ou du pays dont elle a la nationalité, est
obligée de quitter sa résidence habituelle pour chercher
refuge dans un autre endroit..." .
La Déclaration de CARTHAGÈNE du 22/11/84 pour l’Amérique
centrale, y ajoute les cas de "violations massives des droits de l’homme
".
On citera encore l’existence d’un office spécifique de protection
des réfugiés palestiniens, l’UNRWA , dépendant des
Nations-Unies.
Enfin divers textes internationaux peuvent indirectement concerner l’asile,
en ce qu’ils prohibent la torture ou les traitements inhumains et dégradants
- et donc, par voie de conséquence, le renvoi vers un pays où
existent de telles pratiques: pour ne citer que ceux applicables en France,
la Convention Européenne pour la Prévention de la Torture
et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, le Pacte international
relatif relatifs aux droits civils et politiques du 19/12/66 (art.
6, 7 et 10), la Convention des Nations-Unies contre la torture, la Convention
Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés
fondamentales (CEDH).
Originalité de la matière, divers organes spécifiques
de contrôle, offrant des recours supra-nationaux, ont aussi été
créés: pour l’application de la Convention Européenne
pour la Prévention de la Torture, le Comité du même
nom; pour celle du Pacte international relatif relatifs aux droits
civils et politiques, le Comité des droits de l’homme prévu
par le protocole facultatif; le Comité contre la torture des Nations-Unies,
et le rapporteur spécial sur la question de la torture désigné
par sa Commission des droits de l’homme; la Commission et la Cour européennes
des Droits de l’Homme, dont les décisions lient les États
parties.
Deux acceptions spécifiques du droit d’asile doivent encore être signalées puisqu’également consacrées par le droit international: l’asile diplomatique, et l’asile en temps de guerre, maritime ou terrestre.
ASILE DIPLOMATIQUE
Cas où la personne en fuite recherchera et obtiendra asile dans
les locaux d’une mission diplomatique -ambassade, consulat. L’hypothèse
n’est pas sans analogie avec l’asile religieux; à l’intérieur
d’un territoire hostile, existe un lieu de refuge inviolable.
C’est le Congrès de Westphalie (1648) qui consacre l’établissement
d’ambassades permanentes. L’immunité et l’inviolabilité accordées
à l’ambassadeur, marques de respect et moyens d’exercer sa mission,
passeront donc aux locaux où il s’établit; Dès lors
celui qui parvient à s’y réfugier y bénéficiera
de fait d’un asile. GROTIUS justifiera cette immunité par la fiction,
aujourd’hui abandonnée, de l’extraterritorialité: les locaux
de l’ambassade devraient être regardés comme une portion de
territoire de la puissance étrangère, et échapperaient
dès lors naturellement à la juridiction de l’État
dans lequel elle se situe; Il ne s’agirait dans cette hypothèse
que d’une forme particulière d’asile territorial. Mais il est désormais
admis que la mission diplomatique fait bien partie intégrante du
territoire sur lequel elle est située; en revanche l’inviolabilité
dont elle bénéficie peut faire obstacle à ce que des
poursuites s’y exercent.
La doctrine et la coutume internationale reconnaîtront le bien-fondé
de l’asile diplomatique, en distinguant parfois selon la gravité
des crimes, et de nombreux exemples d’ application émaillent les
XVIIéme et XVIIIéme siècles. Puis conformément
à l’évolution générale du droit d’asile, ce
ne sont plus guère que les personnes poursuivies pour des motifs
politiques qui en bénéficieront.
La stabilité politique en Europe fera tomber en désuétude
cette pratique, dont on ne retrouve guère trace, à
l’époque contemporaine, qu’à l’occasion de la guerre civile
espagnole, ou des événements de Hongrie en 1956. Elle est
aujourd’hui considérée contraire à la souveraineté
des États.
En revanche l’Amérique latine, aux régimes longtemps
changeants, a développé jusqu’à nos jours une pratique
et une théorie élaborées de l’asile diplomatique,
consacrée par divers accords internationaux: de LA HAVANE (1928),
de MONTEVIDEO (1933), de CARACAS (1954). La célèbre affaire
HAYA DE LA TORRE, responsable politique péruvien poursuivi
pour rébellion après la prise de pouvoir d’une junte militaire,
et qui avait trouvé refuge à l’ambassade de Colombie, a donné
lieu à deux arrêts de la Cour internationale de justice en
1950 et 1951: dans le premier elle estime que l’élément d’urgence
autorisant l’asile diplomatique faisait en l’espèce défaut;
la Colombie n’était dès lors pas en droit d’obtenir des autorités
péruviennes un sauf-conduit pour faire sortir l’intéressé
du pays; dans le second elle juge toutefois que la Colombie ne saurait
être tenue de remettre HAYA DE LA TORRE aux autorités péruviennes.
ASILE MARITIME ET INTERNEMENT
Il s’agit de règles spécifiques du droit de la guerre,
permettant à des navires de guerre, ou des éléments
armés, de trouver refuge sur un territoire non belligérant.
Prévu par la Convention de LA HAYE de 1907, l’asile maritime
permet de faire relâche, pour cause d’avarie, dans un port neutre,
pour une durée très courte (en principe 24h), qui ne saurait
excéder le temps strictement nécessaire aux réparations.
Lesquelles ne peuvent aboutir à une augmentation de la puissance
militaire du navire. L’État neutre peut ou non accorder cette hospitalité,
mais doit traiter de la même façon les parties en conflit.
L’internement de forces armées, parfois appelé asile
terrestre, est la faculté qui leur est donnée de trouve refuge
en territoire neutre, contre désarmement par l’État d’accueil
et neutralisation pour la durée de la guerre.
LE DROIT D’ASILE EN FRANCE
.../...
Jean Éric Malabre
Avocat à la
Cour